Tout citoyen a droit à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste. Ce droit est un des piliers de nos démocraties. Il est aujourd’hui attaqué de toutes parts, à la fois par des mouvements politiques relayant massivement la désinformation, mais aussi par des milliardaires qui s’emparent de journaux, de radios, de télévisions, ou de réseaux sociaux pour les transformer en outils d’opinion ou de propagande.
Les luttes exemplaires des équipes du Journal du dimanche et, quelques années plus tôt, des équipes de i-Télé, ont montré que des semaines de grève et de mobilisation n’arrêtent pas les prédateurs de la liberté de la presse… surtout quand ils sont richissimes.
Mais ces combats n’ont pas été inutiles : ils ont prouvé la nécessité de garantir l’indépendance des rédactions via des textes de lois ou des accords conventionnels. Y compris les rédactions du service public, qui ne sont en rien immunisées contre les attaques politiques ou économiques. Nous savons ce que subissent nos consœurs et confrères dans d’autres pays européens, notamment là où l’extrême droite a pris le pouvoir. Et si la menace de la privatisation ou du sous-financement reste centrale, elle s’accompagne aussi d’entraves éditoriales, de pressions, d’ingérences, voire de purges.
Le contexte politique français est très loin de nous rassurer. Il doit au contraire inciter l’ensemble des entreprises de l’audiovisuel public à consolider au plus vite l’indépendance de ses rédactions.
C’est pourquoi le Syndicat National des Journalistes (SNJ) revendique depuis plusieurs années la création d’un statut juridique des équipes rédactionnelles, pour leur permettre de faire valoir un droit d’opposition collectif.
En mars 2024, le SNJ a publié sa contribution aux États généraux de l’information (EGI), où le syndicat détaille l’architecture de ce statut juridique (lire ici).
Nous avons également présenté ce projet aux responsables politiques et aux parlementaires. Le SNJ souhaite que la création d’un statut juridique de l’équipe rédactionnelle soit prévue dans le futur projet de loi sur les médias que doit prochainement présenter la ministre Rachida Dati. L’information n’est pas un bien comme les autres, et nous ne pouvons plus laisser les journalistes à la merci de milliardaires ou de gouvernants mal intentionnés.
Rappelons que dans le rapport final des EGI, le groupe de travail « État et régulation » recommande « la mise en place d’un droit de veto des journalistes sur la désignation du directeur de la rédaction ».
Mais nul besoin d’attendre un hypothétique projet de loi. Dès aujourd’hui, chaque entreprise de presse peut et doit se doter de dispositifs protégeant sa rédaction, à l’image de ce qui existe déjà dans des titres de presse quotidienne nationale (Les Echos, Le Monde ou Libération).
C’est pour cela que le SNJ France Télévisions souhaite qu’une négociation permette d’intégrer des dispositifs de « droit de veto » et de « motion de défiance » à l’accord collectif d’entreprise, et ce, dès l’année 2025.
Voici les propositions du SNJ, qui peuvent servir de base à la négociation d’un avenant à l’accord d’entreprise :
– droit de veto de l’équipe rédactionnelle sur la nomination d’un ou d’une responsable
« Toute nomination d’un ou d’une responsable de la rédaction (directeur de la ou des rédactions, rédacteur en chef) doit être précédée de la présentation d’un projet rédactionnel écrit et d’un vote à bulletin secret de l’équipe rédactionnelle.
Si, avec un minimum de 50 % de participation, les deux tiers de l’équipe rédactionnelle se prononcent contre, il s’agit d’un veto sur cette nomination. L’employeur doit alors présenter un nouveau candidat et/ou un nouveau projet qui doit être soumis à la même procédure. »
– motion de défiance de l’équipe rédactionnelle à l’égard d’un ou d’une responsable
« En cas de désaccord avec la marche éditoriale du média, l’équipe rédactionnelle peut convoquer une assemblée générale extraordinaire ayant pour objectif la rédaction d’une motion de défiance. Si celle-ci est votée – lors d’un scrutin à bulletin secret – par au moins 75 % de l’équipe rédactionnelle, avec une participation égale ou supérieure à 75 %, cela entraîne la révocation du ou de la responsable de la rédaction. »
Ces dispositifs n’ont rien à voir avec de la cogestion : le pouvoir de nomination reste bien celui de l’employeur, il ne s’agit que d’un garde-fou permettant de protéger le fonctionnement de la rédaction. Comme on peut le lire dans le rapport final des EGI, « ce droit de veto donne un pouvoir d’action aux journalistes, mais par exception ». Et face aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur la liberté d’informer et sur les journalistes, il est nécessaire de doter les rédactions de protections supplémentaires !
Réunis en assemblée annuelle à Paris, les 12 et 13 novembre, les militants du SNJ France Télévisions demandent à la direction l’ouverture d’une négociation pour intégrer le droit de veto et la motion de défiance dans l’accord collectif d’entreprise.
Nous appelons l’ensemble des directions et des organisations syndicales de l’audiovisuel public à faire de même.
N’attendons pas pour protéger les rédactions !
Paris, le mercredi 13 novembre 2024