France Télévisions condamnée pour manquement à l’obligation de sécurité
Six mois après avoir reconnu des faits de harcèlement moral au sein du service « Société » de la rédaction nationale, la direction de France Télévisions vient d’être condamnée pour la gestion de la fin de carrière d’un journaliste de « Faut Pas Rêver ». Ces dérives managériales visant trop souvent les « seniors » ne sont pas une fatalité : désormais reconnues par tous, elles doivent disparaître de nos rédactions.
« En décidant d’interdire à monsieur A. l’exercice de sa profession de grand reporter, la société France Télévisions a profondément ébranlé son salarié, a pris un grand risque sur sa santé mentale et a ainsi commis un grave manquement à son obligation de sécurité ».
Cette phrase est extraite d’un jugement du conseil des prud’hommes de Paris, rendu en novembre 2021, qui condamne France Télévisions pour « manquement à l’obligation de sécurité de résultat ». La direction de France Télévisions ayant décidé de ne pas faire appel du jugement, celui-ci est donc définitif, et l’entreprise devra indemniser la victime de ces agissements.
Cette victime est l’un de nos confrères, récemment retraité, et qui a subi une fin de carrière indigne du service public. Grand reporter pendant 25 ans pour le magazine « Faut Pas Rêver », A. est victime d’un grave accident du travail lors d’un tournage en 2014. Sa longue convalescence s’accompagne d’une défiance injustifiée et d’humiliations professionnelles infligées par l’encadrement. Ce dernier décide notamment, de manière brutale et arbitraire, de ne plus lui confier la réalisation de reportages. À près de soixante ans, A. se retrouve donc puni, déclassé. Son activité se limite au « soutien » d’autres journalistes, notamment les présentateurs de « Faut Pas Rêver », avec lesquels il prépare les plateaux de l’émission. Cette exclusion, imposée par l’encadrement du magazine, est mise en pièces par le jugement de novembre 2021 : « la décision prise de priver monsieur A. de travail sur le « terrain » doit s’analyser comme une remise en cause de son poste, de ses fonctions, donc une rétrogradation s’analysant comme une exécution déloyale du contrat de travail ». Rappelons que la direction de France Télévisions n’a pas fait appel de ce jugement.
A. va subir ce management violent pendant plusieurs années. Son état de santé se dégrade, et notre confrère ne peut plus travailler sereinement. Affaibli physiquement et psychologiquement, il est licencié pour inaptitude (après avis de la médecine du travail) en 2019. Soutenu par le SNJ, il devra saisir la justice pour que ce management soit condamné et que le préjudice subi soit enfin reconnu… deux ans plus tard.
La décision des juges dans le dossier de A. fait tristement écho aux conclusions du rapport d’expertise présenté, en juillet 2021, aux élus du CSE du Siège de France Télévisions. Ce rapport détaillait la maltraitance et les brimades infligées à D., journaliste du service « Société » de France Télévisions. Reporter en fin de carrière, D. a lui aussi subi une mise à l’écart et un dénigrement injustifiés pendant plusieurs années, en particulier entre 2011 et 2018. Lui aussi a vu son état de santé se dégrader fortement. Lui aussi a été licencié pour inaptitude, après ce que l’expert a qualifié de « faits constitutifs de harcèlement moral ». Le SNJ avait publié un compte-rendu détaillé de la restitution de ce rapport: CSE-S-15-et-16-juillet-2021.pdf (snj-francetv.fr)
Lors de cette restitution, Laurent Guimier (directeur de l’information) et Michel Dumoret (directeur de la rédaction nationale) avaient déclaré « accepter les conclusions » de l’expert et « en tirer de nombreux enseignements ». La direction s’était engagée publiquement à indemniser le préjudice subi par D. Lors de cette restitution, le SNJ avait rappelé que le cas de D. n’était malheureusement pas isolé, et que d’autres journalistes ont subi, ou subissent encore, ces « mises au placard » ou déclassements professionnels. Certaines victimes sont actuellement en procédure devant les tribunaux.
Le SNJ réaffirme sa solidarité avec A., D. et tous les journalistes « seniors » poussés vers la sortie, ou placés dans des impasses professionnelles par leur encadrement. Ce traitement inacceptable est dénoncé par les experts et condamné par la justice ! Depuis des années, les représentants du personnel SNJ combattent ces dérives managériales et exigent que la direction y mette fin.
Le SNJ soutient nos consœurs et confrères victimes de telles pratiques et les accompagnera devant les tribunaux s’ils le souhaitent.
Paris, le 28 février 2022