Paris, le 8 avril 2020
Madame la Présidente,
Nous avons lu samedi 4 avril, dans le journal « L’Equipe », le témoignage d’une ancienne journaliste de la direction des Sports. Dimanche 5 avril, dans le même quotidien, vous affirmez avoir découvert cette affaire la veille, et vous annoncez l’ouverture d’une vaste enquête interne.
Même si nous pensons que la direction de l’entreprise n’ignorait pas ce dossier, nous prenons acte de votre implication personnelle et nous espérons sincèrement que cette enquête sera menée sérieusement et sans délai.
Les révélations courageuses de notre ancienne consœur, en particulier sur les propos sexistes et misogynes subis lors de ses passages à la direction de l’Information et à la direction des Sports, font évidemment écho au formidable et terriblement essentiel mouvement #MeToo qui traverse toute la société, et notamment les entreprises de l’audiovisuel. Rappelons que d’autres femmes passées à la rédaction des Sports s’étaient publiquement exprimées lors du lancement de #MeToo, témoignant notamment avoir subi des insultes pendant des années : « pute, salope, pétasse, morue« . Le SNJ avait déjà relayé ces témoignages.
Pourtant, côté direction, le déni a longtemps été de mise. Fin 2012, à la stupéfaction générale, le directeur des Sports de l’époque s’était présenté dans Le Figaro comme le grand défenseur de l’égalité professionnelle femmes/hommes. Le SNJ lui avait alors répondu longuement dans un texte où, chiffres à l’appui, nous analysions la réalité de la place des femmes dans la rédaction : Rédaction des Sports – Le cancre de la parité.
L’héritage de cette époque est lourd à porter. La situation des Sports a-t-elle progressé depuis ? Oui, il faut le reconnaître, mais pas aussi vite que d’autres directions de l’entreprise et surtout pas au rythme nécessaire pour rattraper un terrible retard. Nos consœurs en CDI ne sont toujours que 7 dans la rédaction (pour 50 hommes).
Concernant les alertes sur les comportements sexistes, plusieurs dossiers ont été pris au sérieux par un encadrement plus à l’écoute qu’auparavant, mais sans toujours donner l’impression qu’il s’agit d’une priorité. Et les allusions sexuelles, les « blagues » misogynes et les sous-entendus sur la prétendue incompétence des femmes continuent à pourrir l’ambiance de travail. Oui, ces agissements sont le fait d’une petite minorité, mais ils ne sont pas toujours contredits ou combattus par les confrères présents.
Si l’on y ajoute l’existence d’autres mécanismes de discrimination (notamment liés à la reconnaissance professionnelle), travailler aux Sports peut devenir un calvaire pour certaines femmes, qui préfèrent rejoindre d’autres rédactions.
Madame la Présidente, nous ne serons pas de ceux qui vous appellent à régler la situation avec un jeu de chaises musicales dans l’organigramme. C’est d’un travail beaucoup plus sérieux, constant, engagé, et de changements beaucoup plus profonds dont nous avons urgemment besoin sur ces thématiques. A commencer par des formations généralisées sur la prévention des violences sexistes et sexuelles, comme nous vous l’avons demandé à plusieurs reprises, et encore récemment dans ce communiqué en octobre dernier : Agissements sexistes et violences sexuelles : Après la prise de conscience, les actes !
Certaines réactions à l’article de L’Equipe nous prouvent qu’il y a une méconnaissance criante de ce qu’est un agissement sexiste et des moyens de les prévenir. Contrairement à ce que nous avons pu parfois lire avec consternation, les rédactions du service public sont loin d’être les seules à avoir des progrès à faire. Mais cela ne nous exonère pas d’un devoir d’exemplarité.
Madame la Présidente, vous avez engagé France Télévisions sur la voie de la « tolérance zéro » dans ce domaine. Nous partageons avec vous cet objectif, parce qu’il doit aider à la prévention des violences sexistes et donc protéger les victimes potentielles. Ces deux dernières années, notre entreprise a été confrontée à des affaires très lourdes et, au sein de plusieurs rédactions, des licenciements ont été prononcés.
Nous constatons pourtant qu’aujourd’hui, des incidents, même ceux considérés comme « graves » par la direction, ne sont pas tous suivis de procédures disciplinaires sérieuses, envoyant un terrible message aux victimes. Le sentiment d’impunité est encore bien présent, surtout quand le rapport de forces (par exemple des femmes, jeunes, en contrat précaire, face à des hommes plus âgés et habitués de l’antenne) est totalement déséquilibré.
L’encadrement, notamment dans les directions où il est quasi-exclusivement masculin (jusqu’à quand ?), doit être beaucoup plus sensibilisé à l’application de la « tolérance zéro » et doit pouvoir le rappeler régulièrement aux équipes quand la situation l’exige. Il doit garantir la protection des victimes qui souhaitent s’exprimer mais aussi la protection de ceux, représentants du personnel ou non, qui les aident et les écoutent.
Il est de la responsabilité des cadres de protéger les personnes vulnérables et de mettre fin à ces pratiques inadmissibles, avec justesse et sans complaisance.
Madame la Présidente, sachez enfin que nous sommes toutes et tous à la disposition des équipes chargées de mener cette enquête.
Veuillez agréer, madame la Présidente, nos sincères salutations.
Ce texte diffusé par le Syndicat National des Journalistes (SNJ) est la reprise d’une lettre ouverte envoyée à Mme Delphine Ernotte-Cunci par les représentants SNJ au Siège France Télévisions : Patricia Issa (représentante de proximité), Dominique Bonnet, Béatrice Gelot, Sophie Guillaumin (élus CSE), Antoine Chuzeville, Serge Cimino, Anne Guillé, Francis Mazoyer (délégués syndicaux)