« Mission de service public » : avec la crise sanitaire liée au coronavirus Covid-19, les communiqués de la direction de France Télévisions multiplient les références à ce terme. Mais entre la communication et la réalité de ce que nous vivons dans l’entreprise, il y a un gouffre. En témoignent la ligne éditoriale de certaines éditions, la déontologie, les pratiques professionnelles et les outils mis en œuvre.
La direction de l’information assume la ligne éditoriale qu’elle a fixée. Il s’agit pourtant trop souvent d’un discours unique et formaté, relayant la communication gouvernementale. Les éditions nationales de JT, en particulier le 20h de France 2, sont transformées en un interminable défilé de ministres et responsables politiques LREM. Le tout avec un rappel permanent et moralisateur à la solidarité et à la responsabilité individuelle de chaque citoyen.
Mais rien, ou si peu, sur les responsabilités et devoirs du pouvoir politique. Aucune mise en perspective des faits : pourquoi avoir négligé pendant des mois les grévistes de l’hôpital public, qui réclamaient des moyens supplémentaires ? Fallait-il organiser le premier tour des municipales ? Le gouvernement a-t-il sous-estimé les alertes ?
Les occasions d’enrichir l’offre éditoriale, de proposer une mise en perspective et de garantir le pluralisme des idées sont nombreuses, même en période de crise :
– Des citoyens, des syndicats, des associations, s’inquiètent des risques de dérives de l’État démocratique, au travers des pleins pouvoirs accordés au ministère de l’Intérieur et à de possibles contrôles à distance des déplacements. Ces interrogations n’ont que peu d’écho dans nos JT.
– Des hôpitaux ouvrent des cagnottes en ligne pour récolter des fonds et améliorer le quotidien des patients et des soignants. En France, un des pays les plus riches au monde, comment un pouvoir politique a-t-il pu faillir au point d’obliger l’hôpital public à faire appel à la générosité des citoyens ?
– Comment est vécue la crise sanitaire par les Français ultramarins ? Quels sont les problèmes spécifiques de ces territoires ?
– Pourquoi d’autres pays ont-ils choisi une politique différente pour les tests de dépistage et l’utilisation des masques ?
– Retour sur les discours économiques présentés (parfois sur nos plateaux) comme « réalistes » et « indispensables » et qui préconisent depuis des années la diminution des moyens alloués au service public et notamment aux hôpitaux. Bref, comment en est-on arrivés là…
– Etc.
Certes, tous ces débats sont de plus en plus présents, en particulier dans les éditions numériques de France Télévisions, grâce à la diversité des rédactions qui les animent. Le contraste entre cette richesse éditoriale et la parole unique des éditions nationales des JT n’en est que plus incompréhensible.
Le travail journalistique est plus que jamais indispensable. Le respect des règles déontologiques aussi. Reprenant un message diffusé sur les réseaux sociaux, sans recouper suffisamment l’information, France 3 Occitanie a affirmé qu’un homme de 48 ans, était décédé brutalement du Covid-19. Ce n’était pas le cas.
Personne n’est à l’abri d’une erreur, surtout quand les conditions de travail sont compliquées en raison du confinement. Mais rien n’excuse l’absence d’une vraie rectification de l’information vis-à-vis de notre public. Est inacceptable aussi le comportement de l’encadrement qui choisit d’étouffer l’affaire et de s’en prendre aux « lanceurs d’alerte », dont un représentant du SNJ.
Enfin, depuis le début de la crise sanitaire, les journalistes et les équipes de reportage font preuve d’ingéniosité. Quitte à diffuser des sujets à la qualité d’images et de son dégradée, en raison de l’utilisation de visioconférences ou de smartphones. C’est tout à leur honneur d’accomplir par tous les moyens leur mission.
Mais que la direction ne s’y trompe pas. Le SNJ la met en garde contre la tentation de perpétuer ces pratiques au-delà de la crise sanitaire. Car il s’agit bien d’un mode « dégradé » qui n’en sera que plus flagrant et inacceptable une fois la crise terminée.
Le « jour d’après », il serait également irresponsable de la part de la direction de France Télévisions de perpétuer ses mauvaises habitudes antérieures : casse des métiers et des pratiques professionnelles, management brutal, chasse aux CDD, etc.
Nous, journalistes et salariés de France Télévisions, assumons pleinement nos missions de service public. Nous prenons même des risques pour le faire. Nous attendons donc de notre direction qu’elle agisse enfin dans ce sens.
Paris, le 9 avril 2020