Dans le cadre de l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui sera discuté en séance publique ce mardi 4 octobre 2016, plusieurs sénateurs (LR et PS) viennent de faire adopter, très discrètement, des amendements scélérats contre la Liberté de la presse. Sous le couvert de l’égalité des citoyens devant la loi, ces sénateurs veulent abolir des pans entiers de la loi du 29 juillet 1881.
La plus grave de ces attaques est menée contre la prescription des délits de presse. Actuellement, le délai de prescription de trois mois, étendu à un an pour certaines infractions, court à compter du premier jour de publication. Le Sénat se propose de faire démarrer ce délai, pour les publications en ligne, « à compter de la date à laquelle cesse la mise à disposition du public ». Ce qui est un moyen détourné de supprimer purement et simplement la prescription, d’une part puisque la quasi-totalité des journaux papiers sont également accessibles sur le web, d’autre part parce que la plupart des sites d’information en ligne maintiennent leurs articles accessibles sans limite de temps.
Depuis 2007, tout site peut être arrêté, par le juge des référés, à la demande du ministère public et de toute personne physique et morale ayant intérêt à agir, si « un trouble manifestement illicite » est constitué. Les amendements introduits au Sénat élargissent cette possibilité à l’infini ou presque, puisqu’ils visent à étendre ce mécanisme à la diffamation ou l’injure envers une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Ces dispositions, si elles devaient être adoptées, sonneraient la fin de la libre expression et de la libre information en France, puisque le principe de proportionnalité qui préside aux destinées du vivre ensemble républicain et démocratique dans la loi de 1881 serait ainsi détruit. Insécurité juridique et auto-censure seraient désormais le quotidien des journalistes et des entreprises de presse.
Ces amendements ont aussi pour objectif de faire passer la diffamation du champ pénal au champ civil. Tentation récurrente de restreindre la liberté d’expression et d’information, ce méchant coup porté à la liberté de la presse avait déjà été tenté sous le quinquennat présidentiel précédent. Seule une vigoureuse réaction du SNJ et de la profession avait fait reculer ce projet funeste. Il ressort donc avec tous ses excès et ses dangers. Avec pour alibi l’égalité des citoyens, il apporte une fausse solution, mais une vraie déconstruction de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, socle de notre équilibre sociétal républicain.
Passer du champ pénal au champ civil aurait pour conséquence de restreindre la question de la diffamation au seul montant du préjudice prétendument subi par le plaignant. Dans ces conditions, le juge civil serait-il toujours amené à chercher si la diffamation est avérée ou pas; si elle est proportionnée au dommage causé ; si la révélation des faits imputés relève, ou pas, de la légitime liberté d’expression et d’information due au public ? Dans ces conditions, le journaliste pourrait-il toujours faire valoir sa bonne foi et le sérieux de son enquête ?
Ainsi, pourraient être civilement condamnés tous types d’articles considérés comme ayant porté atteinte à untel ou untel, sans que ce dernier n’ait eu à passer par la procédure très précise de la loi de 1881, dont les exigences étaient justement destinées à protéger la liberté de la presse. La menace pécuniaire, brandie comme une arme de dissuasion, n’est-elle pas destinée à généraliser l’autocensure ? Vincent Bolloré l’a bien compris qui porte ses attaques maintenant devant le tribunal de Commerce.
Quant aux journalistes, ils doivent actuellement comparaître et se justifier devant le juge, en matière de délits de presse. Cette transparence permet de faire montre, ou pas, d’une déontologie solide, astreint une profession à s’y conformer et c’est très bien. Elle est pédagogique et démocratique. Avec la montée de l’intolérance dans tous les domaines et l’existence de groupes de pression de plus en plus agressifs, menaçants et bien organisés, les entreprises de presse ne pourraient plus se permettre seulement d’exister puisque l’information dérange souvent. Plus de Clearstream, plus de LuxLeaks, ni Cahuzac, ni Bygmalion, et un droit à la critique raboté !
C’est la deuxième année consécutive qu’un gouvernement et des parlementaires, guidés par la peur et le désir de plaire aux censeurs les plus extrêmes, s’acharnent contre les libertés publiques. La loi renseignement ne leur suffit plus, il faut mettre au pas toute une profession : directive européenne sur le secret des affaires, proposition de loi Bloche et cette série d’amendements !
Le Syndicat National des Journalistes (SNJ), première organisation de la profession, appelle à combattre et faire disparaître ces amendements liberticides. Le SNJ attire l’attention des défenseurs des libertés sur ces attaques multiformes et sournoises contre la loi de 1881. Si la France veut continuer à être la patrie des Droits de l’Homme, elle ne peut poursuivre, loi après loi, la déconstruction de la liberté d’informer et d’être informé.
Paris, le 04 Octobre 2016
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