Si certains avaient pu croire à une vraie régionalisation et à une meilleure exposition des sujets picards, après un mois de mise à l’antenne, force est de déchanter.
Chez les journalistes, la mise en place des JT ICI a mis les présentateurs en première ligne. Pas façon premier de cordée, mais plutôt version soutier de l’info, notamment le weekend où une même personne doit écrire deux JT par jour.
Florilège de constats amers :
“Je dois taper mes textes comme un dératé, sans trop réfléchir. Je n’ai plus le temps non plus de discuter de leurs angles avec les équipes qui rentrent de reportage, de leur ressenti sur le terrain. Je suis obligée de leur aboyer dessus un “J’ai pas l’temps !””… Véridique et triste.
“Pour la première fois, j’ai présenté un JT dont je n’avais visionné AUCUN des sujets, ni régional ni national.”
“J’ai eu l’impression de foncer dans le noir à 200 kms/h tout le week-end.”
“Je me sens lessivée”, “le timing est très tendu”, “j’ai l’impression que j’ai à peine le temps de lever la tête, j’ai à peine le temps de prendre un café ou aller aux toilettes, ça a l’air risible ce que je dis mais c’est une réalité, c’est inconfortable”, “C’est une course contre la montre permanente. On écrit le plus vite possible les lancements, aucun moment de répit pour simplement prendre du recul.”
“Pour moi ce n’est pas un rythme tenable sur le long terme.”
Le remplissage pour ligne éditoriale ?
En ce qui concerne l’éditorial, le constat est tout aussi amer : on a plutôt l’impression d’être un hamster dans une roue que de réfléchir à un JT construit et structuré.
Le teaser du soir d’une minute à écrire pour 18h30 est clairement du remplissage. Il vaudrait mieux consacrer ce temps précieux à l’écriture. Le JT s’apparente trop à un empilement de plateaux, d’invités et de off ITW. “J’ai l’impression de présenter BFM Picardie”. Le choix a été fait de ne pas rediffuser notre série le midi et de mettre à la place deux invités dont le lien avec l’actualité n’est pas forcément pertinent et dont les interventions ne sont pas toujours appuyées par un sujet ou un off. Bref, ça manque d’images. C’est sciemment du remplissage pour éviter de la rediffusion, mais le JT midi du weekend manque cruellement de vrais reportages.
Et les invités, c’est bien beau, mais c’est ce qui prend le plus de temps à préparer pour le présentateur qui se trouve doublement pénalisé ! Deux JT par jour, un JT deux fois plus long qu’auparavant à écrire et encore plus d’invités ! “Si en plus, j’ai deux invités dans le journal, alors là vraiment c’est le drame… Je trouve que j’ai à peine le temps de vraiment préparer un invité correctement, alors deux…”
Vous avez dit régionalisation ?
L’enchaînement obligatoire actu régionale/magazine/régional/actu nationale, rendu obligatoire par Paris, entraîne quotidiennement des enchaînements aberrants : “Voilà pour le concert de Ches Wepes. Passons à ce féminicide : une femme tuée de 12 coups de couteaux par son conjoint sous les yeux de leurs quatre enfants” ou “Voilà pour les coulisses du spectacle du Roi Lion. Venons-en au massacre des Israéliens par le Hamas”. “Tu as beau faire des phrases pour essayer d’enrober cette impossible transition, franchement c’est indécent.” Comment assumer cette hiérarchie de l’information ?
De plus, les lancements du national arrivent parfois très tard ou sous forme de dépêche AFP. Sans parler du versioning, jusqu’à une V6 arrivée à quelques minutes de l’antenne ! Et des sujets nationaux dont le temps déborde. Par exemple, une demande de débordement de 3 minutes ce week-end avec l’actu au Proche-Orient et l’attentat à Arras. C’est toujours aux régions de s’adapter et de tailler dans leurs propres sujets. Il faut ajouter à cela le stress lié aux multiples bugs d’Openmédia.
Le SNJ, première organisation de la profession, dénonce la mise en place à marche forcée de ces JT et les conditions de travail très dégradées pour certains présentateurs qui perdent le sens de leur travail. Le SNJ dénonce une ligne éditoriale régionale qui a été fracturée par les diktats de Tempo, dont la conséquence est une sous-exposition des sujets locaux.
Ne serait-il pas plus cohérent d’instituer une tranche d’information nationale et internationale clairement identifiée dans nos JT, plutôt que de mélanger des sujets de manière plus ou moins hasardeuse ou problématique ? Mieux encore, et si la direction reconnaissait son erreur et revenait à la situation antérieure, avec une édition nationale digne de ce nom fabriquée à Paris ?
Nous exigeons aussi une attention toute particulière de la direction aux présentateurs-trices pour éviter les risques psycho-sociaux.
Amiens, le 16 octobre 2023