C’était donc ça ! Les séminaires, les comités de pilotage, les groupes de travail estampillés « Info 2015 » ont travaillé deux ans pour produire ce soi-disant « grand projet » pour l’info de France Télévisions.
Après lecture des 128 pages du document, il y a de quoi être stupéfait. On s’attendait à un projet éditorial d’ampleur, on découvre un schéma technique d’état-major. Une organisation verticale, construite sur de nouveaux postes de directeurs, de chefs, de superviseurs. Un plan d’attaque conçu par et pour des hauts cadres. La préparation méticuleuse d’une offensive, d’une opération brutale, où les cibles sont les rédactions du Service Public et leur pluralité.
Paradoxalement, ce document est à la fois très complet et totalement vide. A quelques mois d’un nouveau mandat à la tête de l’entreprise, la direction n’a visiblement plus le temps d’enrober le projet avec de belles déclarations d’intention, ou de s’intéresser à l’avenir professionnel des non-cadres.
« Info 2015 » tel qu’il est présenté ici n’a pas grand-chose d’un projet journalistique (d’ailleurs le mot « journalisme » est quasiment absent du document). C’est une fusion-disparition, une matrice détaillée, un instrument de contrôle rédactionnel où la hiérarchie se partage le pouvoir. Les grands oubliés du projet ? Les salariés (journalistes, techniciens, administratifs), qui ne sont plus que des exécutants anonymes et interchangeables. En 128 pages, aucune mention des votes organisés dans les rédactions, qui refusent ce projet. Rien sur le risque social que représente une énième réorganisation, où la direction affirme clairement vouloir faire table rase des anciennes « règles de vie collective ». Les chefs monteurs côté France 3, en grève ces dernières semaines contre la suppression totale de leurs jours de RTT, apprécieront…
Alors à qui profite le crime, à qui ce projet funeste peut-il servir ? Toute cette opération lancée en septembre 2012 n’a probablement qu’un objectif majeur. Donner le change, présenter quelque chose dans le bilan, amadouer le CSA et les ministères (de Bercy à la rue de Valois) afin de préparer l’avenir de quelques-uns. Que ce soit l’actuel PDG ou le directeur de l’information, ils s’accrochent à la marque « Info 2015 » comme à une bouée de sauvetage pour leur plan de carrière.
« Rapprochement des rédactions » entendions-nous au début, « projet éditorial, pas économique », « nécessaire à la survie de l’information pour le groupe ». Peu à peu, le nuage de fumée s’est estompé et aujourd’hui, devant la presse, la Cour des comptes ou les députés, il s’agit bien avant tout de se montrer prêt à tout réduire au nom « d’une situation budgétaire tendue ». Et que reste t-il du pseudo affichage éditorial ? Rien si ce n’est la « baisse tendancielle » des sujets culture dans les JT, baisse que la direction valide et accompagne avec le « redéploiement » de 9 journalistes vers le site internet Culture Box.
Pas question pour nous d’opposer les journalistes de la 2, de la 3 ou du numérique. Tout le monde y perdrait dans cette affaire. La fusion serait, d’après la direction, le moyen de faire différent… en regroupant tout. Nous préférons rappeler que si le partage est une bonne chose, le pillage n’apportera rien à l’information et à sa diversité de traitement sur nos différentes antennes.
Pillage des images, pillage des talents, pillage des diversités de traitement. La fusion c’est l’uniformisation, la voie vers un journalisme « industriel » où les équipes seront de moins en moins responsables de leurs reportages (ou bouts de reportages), où le débat éditorial sera confisqué par les cadres dirigeants et les fameux « directeurs éditoriaux opérationnels ».
Ce document de 128 pages reprend beaucoup d’inepties révélées l’an passé par le SNJ avec la publication des conclusions du comité de pilotage. Une fusion totale, qui serait structurée en trois phases… mais seule la première, consacrée à l’installation des cadres dirigeants, est présentée ! La direction a t-elle peur d’avouer que tout le monde n’atteindra pas la troisième phase ?
Même terriblement lacunaire, ce document fait déjà peser de lourdes menaces sur la diversité des éditions d’information. D’ailleurs le terme « éditions » disparaît peu à peu, au profit de « tranches d’information ».
Aucune garantie sur la pérennité du 12/13 national ou du 19/20 national, des journaux décrits comme des éléments de « sessions d’informations ». Que comprendre alors ? Que cette fusion sera bien une fusion-disparition ? Disparition des rédactions nationales, puis des éditions, et enfin de nos emplois ?
Pour toutes ces raisons (défense du pluralisme, maintien des éditions sur chaque chaîne, sauvegarde de l’emploi et surtout respect de l’autonomie et de la responsabilité des journalistes) nous dénonçons ce projet sans âme, qui servira de programme « low cost » pour séduire les partisans d’un Service Public à l’économie.
Les journalistes des rédactions nationales ne seront pas les complices d’un plan de destruction de l’information. Les militants du SNJ sont prêts, comme ils l’ont toujours été, à discuter des orientations éditoriales des différentes éditions pour éviter doublons, gaspillage et absurdités en tout genre. Cela doit passer par des projets éditoriaux distincts et ambitieux, en évitant une fusion des équipes et la destruction de l’identité des rédactions. Cette concentration forcée, dont les objectifs réels commencent à se dévoiler, serait un poison pour nos pratiques professionnelles et pour l’information de qualité du Service Public.
Paris, le 16 décembre 2014
2014-12-16 Projet Info 2015 – La fusion, un poison pour l’info