Le 4 septembre prochain, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions mettra fin aux éditions nationales de France 3. Sous le nom de code « Tempo » les 24 antennes régionales occuperont le créneau actuel, pour symboliser l’inversion du modèle actuel. Finie l’articulation de la mi-journée et autour de 19 heures entre information locale, régionale, nationale et internationale. Une régionalisation à moindre coût sans moyens supplémentaires si ce n’est quelques 60 emplois, redéployés vers les 24 antennes régionales. Faites le calcul…
Ce projet de régionalisation low-cost a été annoncé début juillet 2022 par la présidente de France Télévisions, en plein débat autour de la suppression de la redevance. Mais en marge de ce qui ressemble à un donnant-donnant entre la tutelle et le groupe public, il y a donc énorme dommage collatéral : la suppression des éditions nationales de France 3.
Les 12/13 et 19/20 aux oubliettes de l’histoire télévisuelle. Mais ce qui est présenté comme l’inversion du modèle national/régional n’est en fait qu’un rétrécissement de l’offre d’information de France 3. Alors que l’audience est au rendez-vous, les salariés concernés à Paris et en régions ne comprennent pas qu’on puisse ainsi en toute impréparation fragiliser ces tranches d’information. En effet le bric-à-brac qui se profile va sans aucun doute décontenancer les fidèles et nombreux téléspectateurs de ces rendez-vous sur la 3. Au bout du compte moins de temps pour l’information, moins de regards sur le monde, moins de tout. De l’affichage !
Ces suppressions font suite à la funeste fusion des rédactions nationales de France 2 et France 3. Une fusion qui n’est que confusion éditoriale entre les deux chaines. Ceux qui l’ont organisé n’en retiennent que de supposés doublons éditoriaux… Si tu veux tuer ton chien…
Depuis 2015, l’actuelle direction a également supprimé le Soir 3, alors que toutes les télévisions publiques européennes ont un journal en soirée. Maintenant elle finit le travail en effaçant les deux éditions nationales emblématiques d’une colonne vertébrale local/régional/national/international.
Les ambitieux de la régionalisation, comme le Syndicat National des Journalistes que je représentais dans la course à la présidence de France télévisions, proposent depuis des années une véritable régionalisation : des chaines régionales de plein exercice. Une véritable ambition pour nos territoires, comme ils disent, avec les moyens financiers et le personnel nécessaire pour alimenter cela.
Non ici, bien au contraire, on amuse la galerie en laissant entendre que le temps de la régionalisation est véritablement venu. Alors que le seul objectif réel est de faire plaisir (à l’actionnaire) en affichant une réforme à bas coût et en imposant un sacrifice insupportable pour les salariés du Siège et de toute l’entreprise, une fois de plus sans tenir compte du public… Il est donc urgent que ce projet retourne dans les cartons de la présidente Ernotte.
En 2014, alors que je candidatais à la présidence de France Télévisions, j’osais ces mots dans une tribune publiée par Libération :
- « Il est temps d’en finir avec ce management brutal, qui fait de cette entreprise une usine à burnout. »
- « Il est temps d’en finir avec ces erreurs stratégiques successives qui, depuis la mise en place de l’entreprise unique, ne font qu’affaiblir notre mission de Service Public. »
- « Il est temps d’en finir avec cet argent public jeté par les fenêtres, et que le vent dépose dans des comptes en banque au royaume des intérêts croisés. »
- « Il est temps d’en finir avec cette armée de cadres qui se regarde croître, pendant que les effectifs baissent. »
- « Il est temps d’en finir avec cette politique qui profite aux producteurs privés pendant que les forces vives de l’entreprise meurent à petit feu. »
- « Il est temps de remettre l’éthique et la déontologie au cœur de nos pratiques. »
- « Il est temps de faire de l’égalité entre les hommes et les femmes une priorité. »
- « Il est temps d’instaurer un dialogue social construit sur la confiance et le respect. Il est temps de mettre en place une véritable politique salariale, collective et équitable. Il est temps de remettre les salariés au cœur de notre projet d’entreprise. »
Après une deuxième (je n’ai pas dit « seconde »), candidature infructueuse en 2020, j’ai réutilisé ces mots-là. Et aujourd’hui, à l’aube d’un projet destructeur, je les réitère.
Comme je l’ai dit en 2015, en 2020 et aujourd’hui, le service public n’appartient pas à l’actionnaire, ni aux dirigeants des groupes audiovisuels publics, mais bien à ceux pour qui nous travaillons. Et là, une fois de plus, avec ce projet destructeur, ils sont trahis…
Serge Cimino
Ancien candidat à la présidence de France Télévisions
Délégué syndical du Syndicat National des Journalistes à France Télévisions
Paris, le 25 juin 2023