On peut tuer des hommes, pour les faire taire, mais on ne tue pas l’humour, la critique, ni l’impertinence. Il y a un an, nos confrères, nos copains, nos camarades de Charlie Hebdo tombaient au champ d’honneur de la liberté d’expression.
Des crayons contre des armes de guerre, ce combat était déséquilibré. Adieu Cabu, Honoré, Wolinski, morts pour leurs crobards, mais les hommes meurent, pas les dessins. Adieu Charb, Tignous, Maris, partis avec leurs convictions mais les hommes meurent, pas les idées.
Photo : Pierre Lemasson
Nous n’oublions pas les autres victimes du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, les policiers tués pour la défense de la République, les citoyens assassinés dans l’attentat antisémite de la Porte de Vincennes, ni bien sûr ces dizaines d’autres, abattus au Bataclan ou dans la rue le 13 novembre dernier, à Paris et Saint-Denis, par ce même fanatisme islamiste.
Les hommes meurent, pas la solidarité de la société, qui s’est exprimée, par-delà l’émotion, à maintes reprises et sous diverses formes en 2015. C’est dans la solidarité de tous les citoyens, le refus des amalgames, de la haine et de la division, que la République rassemblée fait face à la terreur de l’intolérance meurtrière et aux excès de tous les extrémismes.
Nous n’oublierons pas l’espoir suscité par un élan inespéré, il y a un an, au lendemain des événements de Charlie Hebdo, lorsque partout, en France comme dans de très nombreux pays étrangers, les citoyens ont rappelé avec force leur attachement profond aux libertés essentielles que sont celles d’informer et d’être informés.
Nous étions tous Charlie, des millions de Charlie. A Paris, de République à Nation, unis dans la tristesse et le besoin de se serrer les coudes. Mais la présence en tête du cortège, d’un carré VIP de chefs d’Etat, dont quelques-uns parmi les plus répressifs de la planète en matière de liberté de la presse, ne présageait rien de bon.
Qu’ont-ils fait de notre 11 janvier ? C’était un élan populaire historique, l’occasion de dépasser la peur, mauvaise conseillère, de réaffirmer dans les actes, au-delà des mots, les grands principes de nos valeurs républicaines aujourd’hui galvaudées : liberté, égalité, fraternité, laïcité.
Qu’ont-ils fait de notre 11 janvier ? Jamais ce légitime souci de sécurité n’aurait dû justifier des mesures inutiles et dangereuses pour le citoyen et la démocratie. C’est pourtant ce qui s’est passé, le choix d’une restriction des libertés au nom de la défense des libertés : après la loi Renseignement, instrument de la surveillance de masse, l’état d’urgence et son cortège d’interdictions et d’exactions plus ou moins incontrôlées.
Si le décret instaurant l’état d’urgence a exclu la disposition prévoyant le contrôle possible des médias par les préfets, le fait qu’une douzaine de députés socialistes n’aient pas hésité à déposer un amendement en ce sens, traduit l’état d’esprit du moment. Ces gens-là se disaient Charlie en janvier.
Alors que des dizaines de journalistes ou professionnels des médias sont tués chaque année dans le monde, dans l’exercice de leur métier (109 en 2015 selon la Fédération Internationale des Journalistes), des dizaines d’autres blessés, emprisonnés ou empêchés d’exercer, le Syndicat National des Journalistes (SNJ), première organisation de la profession, tient à rappeler que la liberté de la presse est un des biens les plus précieux de la démocratie ; qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de garantir la liberté d’expression des citoyens et en particulier le droit des journalistes à informer, révéler, commenter, critiquer, caricaturer ; que cette liberté ne dispense en aucune manière les journalistes et les rédactions d’une nécessaire exigence individuelle et collective de professionnalisme, de rigueur et de déontologie ; qu’en aucun cas la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit l’emporter sur le sérieux de l’enquête ou la vérification des sources ; qu’un des meilleurs moyens de garantir la liberté de la presse et des médias consiste à permettre aux citoyens d’accéder à une information indépendante, complète, pluraliste et de qualité.
L’année d’après, nous sommes toujours Charlie.
Paris, le 06 janvier 2016
07012016 Charlie qu’ont ils fait de notre 11 janvier