Jusqu’à 70 000 km par an. Des heures de route tous les jours. De moins en moins de reportages, de plus en plus « d’éléments » : des bouts d’images et de sons, envoyés à Paris. Pas forcément diffusés. Parfois détournés et utilisés hors contexte. Ce sont les conditions de travail dégradantes imposées par la direction aux journalistes correspondants régionaux de France 2. Ils sont transformés progressivement en simples pions, en soutiers de l’information.
Le SNJ n’a eu de cesse de dénoncer le projet de « news factory » (usine d’informations), dada de la direction et pivot du projet « Info 2015 ». Son laboratoire le plus abouti est le réseau des correspondants de France 2. Là plus qu’ailleurs, nous faisons le constat d’un appauvrissement des tâches, imposé par une hiérarchie qui préfère l’air du temps à l’enquête, le micro-trottoir au témoignage, le duplex au reportage.
Nous constatons une grave dégradation des conditions de travail et une volonté de déqualifier les journalistes :
- Les correspondants sont mis en concurrence entre eux, ou avec les journalistes de la rédaction parisienne, sans en être informés au préalable, sans réflexion autour de la collaboration avec leurs confrères de France 3 sur place. Que le meilleur gagne ! Le meilleur étant, pour la hiérarchie, celui qui respectera à la virgule près la commande du jour : angle, propos et casting des intervenants.
- La commande de reportages ou d’éléments par mail ou texto devient la règle, au détriment du contact direct, par téléphone. Des commandes avec des exigences hallucinantes : des correspondants peuvent recevoir des listes de questions à poser en ITW, jusqu’à 15 pour le même interlocuteur !
- Le tournage « d’éléments » prend le pas sur le temps des reportages proposés par les correspondants : la dévalorisation professionnelle est une réalité quotidienne.
- Enfin, les retours de l’encadrement sur le travail accompli tendent à disparaître.
Toute la chaîne de production de l’information est calibrée pour un objectif unique : diffuser les sujets rêvés par une poignée de cadres de la rédaction, dans leurs bureaux parisiens. Quitte à tordre la réalité rapportée du terrain par les correspondants régionaux.
La dévalorisation professionnelle dépasse les bornes de l’imaginable pour s’attaquer à la déontologie des journalistes. À France 2, non contente d’écarter les « éléments » qui ne lui conviennent pas, la hiérarchie n’hésite pas à réutiliser le travail des correspondants en dehors de leur contexte.
Une trahison pour les personnes rencontrées sur le terrain. Une trahison aussi pour nos téléspectateurs. Une atteinte aux intérêts moraux des journalistes. Et un énorme risque juridique pour eux : en cas de plainte des intéressés, ce sont bien les journalistes auteurs des images et des interviews qui sont pénalement responsables. Jamais la direction de l’information, qui ment effrontément en expliquant aux journalistes qu’elle « assume » tous ses choix.
La direction de France Télévisions a des obligations que le SNJ n’aura de cesse de lui rappeler :
– Obligation, sous peine de faute jugée pénalement inexcusable, de respecter la santé physique des salariés. Or, imposer des rythmes de travail et de déplacement aussi élevés est un réel danger pour les équipes de reportage.
– Obligation de respecter l’intégrité morale et psychologique des salariés. Or, cette négation des vraies fonctions des journalistes et l’appauvrissement des tâches qui leur sont imposées sont des dangers réels pour leur équilibre professionnel et personnel.
Le SNJ exige de la direction qu’elle modifie complètement ce mode de fonctionnement absurde et dévalorisant pour les journalistes. Le SNJ lancera toutes les actions nécessaires devant les instances représentatives du personnel (CHSCT) et, si nécessaire, devant les juridictions adéquates.
Paris, le 23 juin 2015
2015-06-23 Correspondants régionaux F2 – Les soutiers oubliés du navire amiral