Les journalistes de France Télévisions exercent-ils leur profession en toute liberté ? Depuis 5 ans, à France 2, et aujourd’hui à la rédaction nationale de France 3, de nouvelles pratiques transforment les reporters en producteurs de contenus qu’ils ne maîtrisent plus. Au nom d’une efficacité qui reste à prouver, et au prix d’une destruction du journalisme.
Le taylorisme à la mode France 2 est lié à un encadrement hypertrophié qui prétend tout savoir. Huit à dix noms au générique pour un reportage de deux minutes : cela veut dire des équipes de terrain téléguidées pour mettre en musique un scénario imaginé à l’avance. Des listes de questions sont même envoyées aux reporters, voire des réponses à souffler aux interlocuteurs.
Ces sujets en kit sont assemblés et commentés par d’autres journalistes, qui ne sont pas sur les lieux du reportage. Au final, tous les journalistes sont perdants, car dépossédés du travail de reporter ou écartés du terrain.
Une dérive aggravée par les outils de transmission (TVU pack, Aviwest…) : la facilité de leur mise en œuvre permet à l’encadrement de tout décider au dernier moment. Par ricochet, les équipes de reportage subissent stress inutile et dévalorisation. Les journalistes sont condamnés à produire au lieu de construire.
Les reportages sont choisis par des encadrants qui puisent leurs idées dans les tendances des réseaux sociaux ou des chaînes d’info. Suivent de multiples modifications des commentaires et des montages. Jusqu’au ridicule, avec des versions 2, 3, 4 ou plus, selon le nombre de chefs, sans doute soucieux de justifier leur fonction.
Journalistes, nous avons le droit et le devoir de dire non ! Nous pouvons refuser de signer un sujet modifié contre notre volonté. La charte d’éthique professionnelle, dont le SNJ est à l’origine et qui fait partie de l’accord collectif de France Télévisions, le rappelle en ces termes : « Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle…. »
Ne vous laissez pas voler le contrôle de vos reportages ! Car c’est votre réputation professionnelle qui est en jeu. Et en cas de litige, vous êtes pénalement responsable de vos écrits et publications. Pendant que vous comparaîtrez devant un tribunal, les donneurs d’ordres, eux, resteront bien au chaud dans leurs bureaux !
Le SNJ dénonce depuis des années cette négation du droit moral du journaliste, « auteur » au sens du code de la propriété intellectuelle. Une tendance bien dans l’air du temps, si l’on en juge par une récente enquête de la SCAM, qui gère les droits d’auteurs des journalistes de FTV. Selon cette enquête, seulement 62% des journalistes interrogés, tous médias confondus, se sentent auteurs ou autrices.
9 points de moins que dans l’enquête de 2013.
Le SNJ appelle France Télévisions à cesser cette politique d’apprentis-sorciers qui infantilise les journalistes et détruit la profession.
Un journaliste ne doit pas travailler sous la contrainte et risquer la mise à l’écart s’il ose dire non. Les sujets en kit ne doivent pas être la norme au détriment du reportage. La vérité du terrain doit prévaloir sur les préjugés de cadres trop sûrs d’eux.
Journalistes, le SNJ est là pour défendre vos droits, à vos côtés, y compris en justice !
Paris le 20 juin 2019