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AA lettrine articles« France 3 sans les régions n’a pas de sens, les régions sans France 3 n’ont pas de force ». Le rapport Brucy ne manque pas de belles déclarations et d’envolées lyriques. Mais sa version finale, remise cette semaine à la Ministre de la Culture et de la Communication, nous laisse sur notre faim. Le rapport dresse un état des lieux de l’offre régionale de France 3, avant d’émettre une quinzaine de préconisations. Certaines réflexions de bon sens sont les bienvenues, mais d’autres pistes restent confuses, voire inadaptées ou inquiétantes.

Car il s’agit surtout de faire plus, sans moyens supplémentaires. Le SNJ partage l’analyse de la « stratégie de chaîne » développée dans le rapport : France 3 doit se construire sur une double identité, régionale et nationale, avec une politique éditoriale cohérente déclinée dans toutes les régions. Les programmes régionaux et nationaux doivent se construire en concertation.

Le SNJ partage également la critique de la réforme Carolis, qui s’appuyait sur des grands pôles régionaux : « réforme dévoyée », « le découpage est arbitraire et ne correspond pas à une réalité institutionelle et culturelle ». Le rapport Brucy rejoint les conclusions du SNJ sur les politiques
éditoriales des pôles qui « ont contribué à complexifier la grille régionale et à la rendre très peu lisible pour les publics ». Ces pôles régionaux, super-structures créées de toutes pièces, ont noyé l’identité des antennes et ne reflètent pas la réalité des territoires.

La piste du recentrage « tout info » est écartée par le rapport. Si l’information reste la première mission du Service Public et donc de France 3, limiter les programmes régionaux aux JT serait réducteur : « les journaux télévisés régionaux, si populaires soient-ils, ne peuvent à eux seuls répondre à l’ensemble des attentes des publics ».

Pour le SNJ, si les JT régionaux doivent être renforcés, chaque antenne régionale doit également produire des magazines, documentaires, émissions tournées dans la région, fictions… Anne Brucy, ancienne directrice régionale de France 3 Nord-Pas-de-Calais-Picardie, conclut son
rapport avec plusieurs recommandations.

  • « Assurer l’accès systématique en direct et en différé aux programmes régionaux et locaux », « Exposer au mieux les langues régionales », « Généralisation de la HD à France 3 et aux programmes régionaux ». Le SNJ a beau réclamer ces évolutions (qui apparaissent évidentes et de bon sens) depuis longtemps, il est toujours positif de les voir inscrites dans ce rapport. En espérant que la mise en oeuvre soit rapide. Anne Brucy rappelle d’ailleurs que France 3 doit bénéficier d’un sérieux coup de pouce budgétaire pour assurer son passage en haute définition.
  • « Le développement de l’offre numérique de proximité doit être prioritaire dans l’allocation des ressources du réseau, avec l’objectif d’atteindre par redéploiement un niveau moyen de 5 ETP dédiés par antenne régionale ». En effet il y a urgence à doter les stations régionales de moyens supplémentaires sur le numérique, mais il est hors de question d’affaiblir les JT et les émissions existantes pour renforcer le web. D’autres solutions nous paraissent plus rationnelles, comme la nécessaire réduction du taux d’encadrement dans de nombreux établissements. Cette piste doit être privilégiée pour les éventuels redéploiements de postes au profit du numérique.
  • « Renforcer la capacité des rédactions régionales à prendre l’antenne dans un format breaking news pour couvrir une actualité régionale majeure ». Là encore cette recommandation fait écho aux souhaits du SNJ, mais il faudra autre chose que le déploiement des véhicules Ka-Sat (qui ne fonctionnent d’ailleurs toujours pas correctement). Les prises d’antenne exceptionnelles des stations régionales doivent se faire dès que possible, avec du matériel adapté et une coordination entre techniciens et journalistes. Il faut également alléger le processus de décision. Ce ne sont pas nos compétences qui freinent cette réactivité, mais bien la direction parisienne soumise notamment aux écrans publicitaires.
  •  « Le prochain COM de France Télévisions doit aboutir à une répartition des effectifs au sein des différentes implantations, qui correspond aux réalités des bassins de vie ». Renforcer certaines antennes, oui, mais la logique du rapport Brucy (alléger les effectifs de certains bureaux pour renforcer ceux des régions très peuplées) nous paraît très schématique. Un journal régional n’est pas construit par un algorithme, avec un nombre de reportages en fonction du nombre d’habitants de chaque département ou de chaque ville… La répartition des effectifs est une question complexe qui demande une réflexion plus éditoriale que mathématique.
  • « Le prochain COM de France Télévisions devra prévoir le principe d’expériences d’offres de complément diffusées sur des canaux dédiés. Le rapport Brucy préconise en effet deux expériences de télévisions de complément (inspirées de Via Stella en Corse), pour la Bretagne et le grand Paris. Deux canaux dédiés, 7 heures d’antenne par jour, une piste intéressante, mais clairement sous-financée avec un budget de 2 millions d’euros par an !
  • « France 3 devra repenser sa carte des régions et ses programmes pour accompagner la réforme territoriale ». Doit-on comprendre que la réforme Carolis décriée par ce rapport serait remplacée par un nouveau redécoupage des pôles France 3 en fonction des réformes annoncées par le gouvernement Valls ?
  • « Favoriser le développement de la polycompétence ». Le SNJ l’avait rappelé lors de son audition par la mission Brucy : si nous sommes ouverts à la discussion sur le sujet, nous n’accepterons pas le chantage aux polycompétences.

La réalisation d’émissions matinales dans les antennes régionales est un projet intéressant qui n’a pas à être conditionné à l’arrivée de pratiques « low cost » inspirées des chaînes d’info en continu. C’est le Service Public qui doit être l’exemple en matière de télévision, avec une exigence de qualité. Et n’oublions pas que les antennes régionales ont déjà fortement contribué aux économies de France Télévisions depuis 2012.
L’immédiateté ne peut pas, ne doit pas être notre seule ligne éditoriale. Des polyvalences à tout crin risquent de briser ce qui fait justement la spécificité de notre réseau régional : sa capacité à créer de l’écoute et du lien avec les populations… des missions souvent mises en exergue dans ce même rapport. Nous devons avoir le temps et les moyens de décrypter la vie et l’actualité de notre région.

Pour que France 3 reste la référence, elle doit d’abord délivrer une information fiable et de qualité. Quant aux éditions locales, déjà dans le viseur de la direction depuis plusieurs années, elles sont les grandes oubliées de ce rapport. Traités de façon très superficielle, les projets pour les locales de France 3 semblent se résumer à une plateforme TNT, alors qu’en parallèle des partenariats avec des TV locales privées sont envisagés.

Même brouillard autour d’autres dossiers à peine effleurés : une « arche numérique » avec France Bleu dans certaines régions ; de la radio filmée pour certaines cases matinales ; l’avenir des bureaux régionaux de France 2, etc…

Si l’Etat et les ministères de tutelle sont réellement convaincus que « l’avenir de France 3 sera régional ou ne sera pas », alors ils doivent se donner les moyens de cette ambition. Et nous ne saurions trop leur conseiller la lecture du projet du SNJ « L’avenir du réseau régional de
France 3 » :

SNJ-AVENIR-RESEAU-F3