Il est rare de voir un avocat de France Télévisions s’enliser aussi profondément au cours d’une audience. C’est le spectacle auquel on a assisté le lundi 21 mars au tribunal des Prud’hommes de Paris. A l’initiative du SNJ, de la CFDT, de la CGC et de SUD, 206 salariés avaient engagé l’action pour obtenir communication de la fiche clandestine les concernant, rédigée à leur insu par leur hiérarchie.
Pendant près d’une heure, une des avocates de la direction n’a eu de cesse d’affirmer :
- que ce « fichage » n’en était pas un
- qu’il ne servait à rien
- que cette démarche de « revue du personnel » était prévisionnelle
- qu’elle n’était qu’un outil de gestion des ressources humaines au service de la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences) devant permettre d’identifier les futurs cadres de l’entreprise.
Selon la direction cette revue du personnel initiée à partir de 2014 sur une partie de l’entreprise était liée au très classique entretien annuel.
« Si cette grille ne servait à rien, pourquoi avoir chargé une cadre de la DRH de faire le tour des établissements des Premières et de France 3 pour en expliquer l’utilisation ? », demande avec insistance le président du conseil des prud’hommes, « Si ces documents n’avaient aucune valeur, pourquoi ne pas les avoir restitués aux salariés qui en faisaient la demande ?» insiste un conseiller.
Le tribunal enchaîne les questions : « Qu’y a-t-il à cacher dans ces fiches ? » « Comment imaginer que les managers locaux n’en ont pas tenu compte dans leurs prises de décisions ? » « Pourquoi affirmer qu’il n’y pas de centralisation du dispositif alors que le processus est initié par le siège ? Etc.
Submergés, les deux avocats de la direction appellent à la rescousse le DRH de France Télévisions, Arnaud Lesaunier, présent dans la salle. Celui-ci veut la jouer « innocent », nommé à ce poste le 22 août. C’est l’effet contraire qu’il produit. L’avocat des salariés rappelle qu’Arnaud Lesaunier était DRH du Siège avant de succéder à Patrice Papet, devenu conseiller de la présidente Ernotte. Il y a bien eu continuité de la politique de la DRH sur ce sujet !
Le DRH tente néanmoins de faire la leçon aux juges qui n’apprécient pas son ton… L’avocat des salariés, très incisif, démontre que la direction change de version au fil des mois. Après avoir nié l’existence des fiches, elle a tenté de les faire disparaître, puis devant l’injonction de la justice de ne rien détruire, elle s’efforce désormais de dire qu’elles sont vierges.
On retiendra aussi du système de défense de la direction la mise en avant de l’accord signé par la CGT et FO pour organiser une restitution orale bidon de cette évaluation. On retiendra également la tentative d’instrumentalisation d’un courrier de la CNIL intervenue à FTV quelques mois auparavant pour une autre affaire.
La direction espère limiter la casse en plaidant qu’une partie des 206 plaignants ne serait pas concernée par le dossier pour des raisons diverses. Selon l’article de Médiapart consacré à ce procès, « l’audience restera à coup sûr pour la direction de France TV comme une des plus catastrophique de l’année ».
Délibéré rendu le 11 mai.
fichage illégal salariés au tribunal 21 03 2016