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Une tribune publiée dans Le Monde le 29 juillet signée par Delphine Ernotte et 7 autres présidents de médias publics, réunis au sein du Groupe mondial pour les médias publics*, donne cette définition :

(…) Les médias d’État ont pour mission d’appuyer les intérêts du gouvernement (…) ces médias sont un moyen pour les États de contrer les critiques et d’éclipser d’un sujet les problèmes, les dissidents et les sources d’embarras.

Les médias publics, quant à eux, ont été créés pour répondre aux besoins des citoyens (…) ils incarnent tous un ensemble de valeurs fondamentales comme l’indépendance, la défense de l’intérêt public, l’impartialité, l’universalité des services, la diversité, l’exactitude et la rigueur journalistique. (…)

Nous ne pouvons qu’être d’accord.

Il n’y a pas de débat, FTV se positionne clairement dans la deuxième catégorie, mais cela n’empêche pas la vigilance. Non pas que l’État actionnaire nous imposerait une ligne éditoriale, ce sont bien les rédacteurs en chef, directeurs régionaux ou directeur de l’info qui en ont la responsabilité.

Ces lignes éditoriales se construisent à travers des choix, ces choix se font en fonction des informations remontées par les journalistes de terrain vers les décideurs, un dialogue peut alors s’installer, basé sur la confiance dont le socle est le partage des valeurs portées par un média public.

En revanche, quand ces choix sont imposés en dehors de tout débat, quand ils sont initiés par une vision fantasmée, aveuglée par des certitudes aux antipodes de la réalité du terrain, c’est le partial et le partiel qui colore nos JT d’un camaïeu qui n’est plus que le reflet des sensibilités et croyances d’une seule personne.

C’est la défiance qui règne aujourd’hui à France 3 Paris IDF, les quartiers de la banlieue parisienne ne sont plus représentés qu’à travers le prisme déformant de décideurs hors sol. Faisant fi de l’expertise collégiale d’une rédaction, ils transforment les journalistes en soutier, bloqués à fond de cale, nourrissant la chaudière de l’information d’un navire qui s’éloigne de plus en plus vite de l’intérêt public et par là même de son public.

L’un des exemples le plus emblématique de ces dérives est le bureau de Bobigny chargé de couvrir l’actualité de la Seine-Saint-Denis. Il était censé être « un outil d’information et de cohésion sociale pour la population du département le plus pauvre de métropole ». Quelle déception pour les journalistes de ce bureau lorsque l’écran de fumée de ces belles paroles s’est dissipé, laissant place à une ligne éditoriale sécuritaire, convenue, voire tendancieuse. Cela n’empêche pas l’équipe de batailler, mais que vaut une argumentation juste face à l’impéritie de certains cadres :

* ABC (Australie), ZDF (Allemagne), France Télévisions (France), RNZ (Nouvelle-Zélande), SVT (Suède), CBC/Radio-Canada (Canada), KBS (Corée du Sud)

  • L’année dernière une des journalistes du bureau de Bobigny mène une enquête sur la municipalité sortante UDI (qui avait déjà fait l’objet d’un « Pièces à Conviction » en 2017) avec l’aval de la rédaction en chef de l’époque. Malgré les éléments déjà tournés, la nouvelle rédaction en chef, sous contrôle de la direction régionale, demande d’arrêter les frais. Il aura fallu notre intervention au plus haut niveau de FTV pour que le dossier soit monté puis diffusé. Depuis, plus d’enquête du bureau de Bobigny, « ce n’est pas dans notre ADN » dixit la rédaction en chef.
  • En février dernier, les équipes alertent la rédaction en chef sur le procès de 9 personnes dont le maire UDI de Noisy le Sec pour suspicion de favoritisme, prise illégale d’intérêt et trafic d’influence au sein de l’Office HLM de Noisy le Sec. Pas d’enquête, pas de sujet, rien… (pour cause de covid, le procès est reporté en 2021).
  • En mars l’encadrement est alerté par le bureau de Bobigny sur le fait qu’il manque des lits de réanimation dans le 93. La polémique enfle sur le web. Rien n’est fait de la part de la rédaction en chef. Quelques jours plus tard le sujet est traité sur France 2. Nous n’en avons jamais parlé dans notre JT régional.
  • Encore en mars, face à une possible crise alimentaire dans le 93 due au confinement, le bureau de Bobigny cale un sujet sur la mobilisation d’habitants de la Capsulerie (quartier « chaud » de Bagnolet) pour collecter et distribuer de la nourriture. Sujet annulé et ordre de faire à la place un off itw de Valérie Pécresse distribuant des masques au syndicat de police Alliance…
  • En avril la rédaction en chef envoie un CDD couvrir l’annulation des loyers de certains locataires par l’OPH de Bobigny, sans en avertir les équipes sur place et pour cause : 2 mois auparavant la rédaction en chef n’avait pas validé une demande d’enquête des journalistes de terrain sur de possibles malversations au sein de cet Office… 
  • En septembre, un sujet sur un nouveau service alcoologie de l’hôpital Delafontaine est diffusé un mois après son tournage, sous la pression de l’hôpital qui ne voulait plus que les journalistes de PIDF refassent des reportages chez eux suite à cette non-diffusion…Reportage tourné AVANT le Parisien, et diffusé APRES l’article du Parisien.
  • En octobre – cerise sur le gâteau – la rédaction en chef se décide à faire un reportage sur l’OPH de Bobigny, dans la tourmente depuis un article de Médiapart paru le 9 octobre titré : « A Bobigny, trois anciens élus UDI suspectés de malversations ». C’est cette même rédaction en chef qui avait refusé l’enquête proposée par les journalistes de la BEX plusieurs mois auparavant.         
  • Un dossier sur le numéro d’appel d’urgence pour les soignants en burn-out. Reportage mis de côté, oublié, retiré de la liste des marbres, puis carrément effacé. Suite à l’insistance de l’équipe le sujet a finalement été retrouvé dans les limbes du serveur. Il a fallu entièrement le re-commenter et encore une fois faire pression pour qu’il soit diffusé… 3 mois plus tard.

Dans cette triste liste, hélas non exhaustive (nous pourrions en dresser une autre encore plus longue pour la rédaction de PIDF au siège), où sont l’indépendance, la défense de l’intérêt public, l’impartialité, la rigueur journalistique mis en avant dans le texte signé par 8 président(e)s de médias publics, dont la nôtre ?

Notre direction régionale a appuyé, validé tous les choix de la rédaction en chef qu’elle s’est choisie, l’encadrement intermédiaire a joué son rôle de courroie de transmission ; et nous, représentants des soutiers de l’info, nous signalons à la Présidente, qu’à l’épreuve des faits, loin des effets de tribune, elle est tout autant responsable du naufrage …

Paris, le 27 octobre 2020