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Préalable SNJ au CSE Central du 9 février 2024

C’est en fin d’après-midi, ce 8 février, que les représentants des salariés ont reçu la “feuille de route” de France Télévisions que la présidente de l’entreprise doit présenter le 9 février au Comité Social et Économique (CSE) Central.

Un document de vingt-trois pages, à la fois assez succinct, plutôt vague, et relativement inquiétant.

La direction y fixe plusieurs objectifs stratégiques majeurs :

– affirmer France Télévisions comme un “repère de confiance, de clarté et de liberté” au milieu du “chaos informationnel”, avec notamment un “plan de relance” pour Franceinfo ;

– un “plan massif de reconquête des jeunes publics”, avec le triplement des investissements dans les programmes destinés aux moins de 30 ans ;

– l’effacement de France 3 au profit de “Ici”, marque commune de la proximité partagée avec Radio France ;

– et enfin… devenir une entreprise qui incarne “l’exemplarité dans sa gestion”, avec des chantiers liés à la productivité des salariés, à la simplification de nos modes de travail et à un nouveau “pacte social”.

Dans ce projet stratégique, rebaptisé “feuille de route”, pas un mot sur la fusion des sociétés de l’audiovisuel public, ou sur les projets de holding, deux pistes pourtant envisagées, explicitement, par la nouvelle ministre de la Culture.

Ce décalage entre discours politique des derniers jours, et le document communiqué hier, a de quoi déboussoler les salariés. La “feuille de route” qui nous est présentée aujourd’hui indique-t-elle vraiment la direction qui sera prise dans les prochains mois ?

Dans tous les cas, un audiovisuel public solide, indépendant, “efficient” (pour reprendre le lexique de la feuille de route) ne peut pas se construire sur des équipes fragilisées, menacées, précarisées.

Dans plusieurs secteurs, les signaux sont au rouge. Il y a moins de deux mois, un mouvement social d’ampleur a secoué le réseau régional France 3. Cette lutte a laissé des traces, et même des blessures. La direction doit le prendre en compte. L’heure n’est pas au passage en force, à l’accélération des transformations, à la perte de repères, et à un projet hasardeux de fusion avec France Bleu.

Dans d’autres directions de l’entreprise, les CDI France Télévisions sont rares, remplacés par des contrats courts, plus ou moins précaires, voire des contrats de prestations. Parfois, dans le même open space, dix salariés travaillent ensemble sur le même projet, mais avec cinq statuts différents et trois employeurs différents !

Alors, on croit rêver quand on lit la “feuille de route”, qui parle de “simplifier nos modes de travail”, ou “d’organisation encore trop cloisonnée”

Mais aujourd’hui, qui fragmente les collectifs de travail ? Qui impose à certains salariés des statuts précaires, parfois pendant des années ? Qui envoie d’autres collègues dans des filiales, ou pire, dans des sociétés prestataires aux pratiques sociales parfois indignes ?

On croit rêver, encore, quand on parcourt le chapitre sur “l’exemplarité”.

Certes, il y a un volet écoresponsable, avec de nombreux engagements, et des plans de formation pour les équipes. C’est positif.

Mais quand la direction exige des salariés des efforts au nom de “l’exemplarité de la gestion de France Télévisions”, à quoi, à qui pense-t-elle ? Quels sont ses modèles ? Peut-être Jean-Pierre Elkabbach, dont ce bâtiment porte le nom ? Ou Patrick De Carolis ? On ne sait pas trop.

En revanche, on entend très bien une petite musique culpabilisante : “renforcer notre efficience”, “productivité”, “nouveau pacte social”, “transformations”...

Ceux qui font France Télévisions aujourd’hui ne seraient pas efficients ? Pas assez productifs ? Il faudrait urgemment les transformer, voire les remplacer, et revoir notre cadre social ?

Comme dans toute entreprise de cette taille, il y a toujours des méthodes à ajuster, des solutions à trouver, des accords à signer. Le dialogue social est notamment là pour ça.

Mais à France Télévisions, où trois postes ont été supprimés chaque semaine depuis dix ans, via notamment une rupture conventionnelle collective qui n’a pas apporté les effets escomptés, en matière de renouvellement des effectifs, ce message sur “l’exemplarité de gestion” ne passe pas.

Où est l’exemplarité quand l’entreprise paie chaque année des millions d’euros en indemnités et frais d’avocats pour d’innombrables procédures judiciaires dont beaucoup pourraient, devraient être évitées ?

Cette politique sociale et ces dépenses ne sont jamais évoquées dans le document qui nous est présenté.

Pour conclure, si nous pouvons partager certains objectifs détaillés dans ce projet stratégique, notamment en direction de la jeunesse, ou sur la transparence de l’info, nous contestons les moyens choisis pour y parvenir. Cette “feuille de route” ne tient pas compte, ou très peu, des revendications portées depuis des mois, voire des années, par les élus et les instances représentatives du personnel.

Avant d’aborder ce virage stratégique, nous demandons à la direction de revoir sa copie, et d’entendre la voix des salariés et de leurs représentants. Nous appelons nos ministères de tutelle à clarifier leurs intentions sur l’avenir des sociétés de l’audiovisuel public, et à repousser tout projet de fusion.

La “feuille de route” de France Télévisions ne peut pas se faire sans nous, et encore moins contre nous. Cela conduirait à fragiliser les collectifs de travail, à assombrir l’avenir de nombreux salariés, à aggraver les risques psychosociaux, et à augmenter le risque de conflits.

Un service public comme le nôtre ne peut pas fonctionner ainsi.

Paris, le 9 février 2024